Haïti –Duvalier : Son âme, reposera-t-elle en paix après sa mort ?

Article : Haïti –Duvalier : Son âme, reposera-t-elle en paix après sa mort ?
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12 octobre 2014

Haïti –Duvalier : Son âme, reposera-t-elle en paix après sa mort ?

haïti-duvalier-son-âme-reposera-t-elle-en-paix-après sa-mort « Que son âme repose en paix ! » ou « Paix à son âme ! » Voila l’expression populaire, un rituel dont se servent les gens pour rendre un dernier hommage à leurs proches, amis, parents, etc.

C’en est devenu une routine. L’expression est utilisée, à tort et à travers, pour toutes catégories de personnes. Petits ou grands, riches ou pauvres, noirs ou blancs, quoi que vous soyez, vous semblez avoir droit à une « Paix à son âme ! ». Mais, il nous importe d’aller au-delà de son usage vulgaire, pour déceler l’effet que cela incombe si l’utilisation a été faite avec noblesse et méritocratie.

En ce sens, nous pouvons nous demander si le fait de pouvoir formuler le même souhait à n’importe qui ne dénature pas le sens pur de cette expression. Hormis toutes les considérations bibliques sur la question. Simple logique. Comment est-ce que l’âme d’une personne témoin et acteur des crimes commis sur des milliers d’individus comme lui, peut-elle se reposer en paix ? La même question peut être de mise pour l’ancien dictateur Duvalier décédé à suite d’un arrêt cardiaque.

La nouvelle de son décès est survenue brusquement le samedi 04 octobre, dans la matinée. Et depuis, le tollé suscité autour de la manière de lui faire les derniers adieux n’avait cessé de s’amplifier. (A lire : https://worlgenson.mondoblog.org/2014/10/08/haiti-duvalier-les-funerailles-defraient-chronique/). Les pressions ont été fortes. Le gouvernement a joué à la prudence. Finalement, la décision est tombée : « Pas de funérailles nationales ou officielles pour Duvalier ». Que sa famille, ses amis et ses proches puissent s’organiser à ce propos.

Ce samedi 11 octobre 2014, à l’institution Saint Louis de Gonzague, ont été remarqués des membres de sa famille, des amis, des sympathisants. Seulement deux anciens présidents ont été aperçus : l’ancien général Prosper Avril et l’ex président provisoire Boniface Alexandre. Ses funérailles n’ont pas fait écho au sein de la société. On n’en parle peu. L’exécutif n’a pas été officiellement représenté. Michel Martelly et Laurent Lamothe ont brillé par leur absence. Baby doc, le prince dictateur –passionné de moto, d’alcool et de bolides et des belles plages – serait nostalgique de se voir traiter de cette manière. Si seulement il pouvait assister à cela, il devrait se sentir humilié, dédaigné et réduit.

Et s’il vivrait une autre vie après la mort…. !

(Que c’est drôle, par-dessus tout !)  

Si pour certains, après la mort, c’est le néant, pour d’autres il n’en est nullement question. Il existe une autre vie après la mort. Laquelle ? Nous l’ignorons forcément ! Mais supposons que c’est bien le cas, Duvalier la connaitra probablement. Aussi, disons drôlement, que lui et  les autres victimes disparues sur son régime se croiseront les regards. Des questions lui seront posées. Des réponses leur seront données. De toute manière, il rendra compte. Donc, jusque là, son âme risque de vivre dans le tourment continu.

L’ex dictateur, qui était déjà dans le collimateur de la justice, est passé de la vie au trépas. Les conditions de sa mort n’ont pas vraiment tenues les gens à cœur. C’est censé être passé comme une lettre à la poste. Au-delà de toute attente, sans rendre compte à personne, il n’a pas étanché la soif des gens. D’ailleurs, Magalie Comeau Denis rappelle qu’il s’agit d’un « homme qui n’a rien appris-ou a bien appris-de ses vingt-cinq ans en terre de « vieille démocratie » qui s’est adressé avec arrogance à la « jeunesse de mon pays ». (Pour lui, pour elles et pour eux, pour nos enfants,  In Le prix du jean-Claudisme).

Les frustrations sont toujours à fleurs de peau. Les victimes n’ont pas encore trouvé justice. Un procès a été enclenché. Le chemin était long. Et zut, surgit la mort ! Le prince déchu, depuis février 1986, réduit à sa plus petite expression. Il devrait se souvenir de l’époque à laquelle il faisait la pluie et le beau temps, où il  se la coulait douce.

Le « Baby dictateur », dès son retour en Haïti en janvier 2011, jusqu’à sa mort, en octobre 2014, a raté l’occasion d’atténuer les griefs qu’avaient les victimes de son régime, en demandant « pardon » au peuple haïtien, notamment à celles-ci. Bien que cela n’aurait enlevé en rien, les séquelles indélébiles des actes tyranniques les plus acérés et acerbes perpétrés sur le sol haïtien. Leurs morbides agissements envers des citoyens de la République, à cette époque-là, continuent de raviver de mauvais souvenirs chez les victimes, les martyrs de la démocratie. Cela dit, il est parti sans avoir reçu, ne serait ce que légèrement, l’indulgence du peuple meurtri dans son âme, qui se rappelle encore de ce pan horrible de leur évolution.

Sans embarras, à sa sortie au tribunal, il a lancé d’une voix inquisitrice : « Qu’avez-vous fait de mon pays ? ». Par là, selon il critiquait les générations d’hommes et de femmes qui ont tenu les rênes du pays après lui.

Le sens de l’histoire…

Le petit Duvalier à muri au palais, 14 ans au pouvoir, mais il se révélait surtout un excellent disciple de Papa doc, l’impitoyable dictateur. « Baby doc » à bel et bien suivi les empreintes macabres de « papa doc », qui de son vivant, avait déjà instauré la machine répressive qui consistait à tétaniser toute une population, en lui privant de sa liberté d’expression. Les « siviyè-rapote » (surveillants et rapporteurs) du régime étaient partout ! Personne ne sait qui surveille qui ! N’importe qui pouvait être un espion du régime. L’on raconte même que des cireurs de bottes pouvaient être des attachés du régime surveillant et identifiant les détracteurs soupçonnés du régime.

Le traumatisme hantait  l’esprit de toute une population. La loi silence était de mise. Les sbires du régime dominaient et occupaient toutes les espaces. Pour trois fois rien, le citoyen était passible de se faire exécuter, torturer, emprisonner.

C’était l’air du bâillonnement de la presse. Nombreux sont des journalistes qui ont été disparus et exécutés. Le journaliste Marvel Dandin parle des « moments où la censure régnait en maitre et où la pensée libre était suspecte et poursuivie jusque dans ses derniers retranchements.» (Son texte titré : 28 novembre 1980 : le dernier tango du « Prince » in Le prix du Jean-Claudisme).

Le climat était délétère. Des jeunes intellectuels, universitaires, professeurs, médecins, agronomes… de ce pays étaient ciblés. Ils fuyaient le pays sous la pression de la machine infernale. L’exil volontaire ou forcé. C’était la fuite de cerveau. La machine d’enfer broyait tout le monde sur son passage.

Tristement, le régime avait infligé une certaine torture mentale dans les familles de cette période. Pères et mères et enfants ont assisté à de graves exactions des sbires de l’époque. Il s’ensuit pour Magali Comeau Denis, « le système de terreur distillait la peur, allant jusqu’à déshumaniser tout un peuple ». Elle souligne que des obligations ont été  faites aux directeurs d’écoles et aux instituteurs d’amener leurs élèves en uniforme, des enfants, voir des scènes d’exactions ou exécutions faites sur des opposant du régime, au grand cimetière de Port-au-Prince. Horrible ! Imaginez le traumatisme que cela engendre !

Que l’on se souvienne encore, le 28 novembre 1985, dans la cité de l’indépendance, Gonaïves, trois jeunes écoliers ont été abattus lâchement par des sanguinaires du régime. La douleur que ses tontons macoutes ont laissée chez leurs parents, leurs amis a perduré.

Certes, la génération à laquelle nous appartenons,  celle de l’après la chute des Duvalier, n’a pas vécu le régime, mais elle est victime du lourd héritage qui lui a été légué (e). Un pays dévasté, une nation divisée.

Aujourd’hui encore, les souffrances se resurgissent chez les victimes. Juger et condamner l’homme, l’ex dictateur, auraient atténué les douleurs. Maintenant qu’il n’est plus, le vide reste. Mais à qui profite sa mort ? A qui les victimes vont-elles demander des comptes ?

Quand il regardera derrière lui, même après sa mort, qu’il se rendra compte que le peuple ne lui a pleuré sa mort, il comprendra qu’il lui était préférable de quémander sa bonne grâce, s’apitoyer son indulgence, de son vivant. Si le « baby dictateur » n’avait fait preuve de remords de son vivant, on ne peut pas espérer qu’il le fera après sa mort. Aura -t-il retrouvé la paix, quand il se rendra compte des nombreux torts qu’il a causés, du mal qu’il avait fait à la jeunesse de ce pays.

Ouvrage cité :

Buteau Pierre et Trouillot Lyonel, Le Prix du Jean-Claudisme. Arbitraire, parodie, désocialisation. Port-au-Prince : C3 éditions,2013.

Avec la contribution de plusieurs auteurs.

Worlgenson NOEL

Etudiant en Sciences Humaines et Sociales

Université D’Etat d’Haïti

gensonoel@gmail.com

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